
Ernő Rubik : biographie de l’inventeur du Rubik’s cube
1974. Nous sommes à Budapest, à l’est du rideau de fer soviétique. Dans un appartement de la capitale hongroise, un homme au regard inquisiteur scrute le petit cube qu’il tient dans ses mains. Depuis des jours, ses yeux bleus azur restent fixés sur cet étrange objet, dont il manipule les faces colorées avec excitation. Après plus d’un mois d’effort, il le sent, la victoire est proche. Il effectue une dernière rotation et…
Ça y est ! Il tient sa victoire ! L’homme exulte, ne se doutant pas une seule seconde qu’il vient de résoudre pour la première fois le jouet qui deviendra le casse-tête le plus populaire de toute l’histoire.
Cet homme est Ernő Rubik, professeur à l’École Supérieure hongroise des arts appliqués. Vous le connaissez certainement pour ses réalisations : il est l’inventeur du casse-tête le plus vendu de tous les temps, le Rubik’s cube.
Si son invention géniale est connue de tous, l’homme qui est derrière demeure mystérieux. Saint Patron des designers pour les uns, millionnaire excentrique pour les autres, cet inventeur de talent excite l’imagination. Qui est réellement Monsieur Rubik ? Comment a-t-il créé le cube qui porte son nom ? Dans quelles proportions son invention a-t-elle changé sa vie et celle des fans de cubing ? Cette biographie d’Ernő Rubik répondra à toutes les questions que vous vous posez sur cet homme si particulier.
1. Qui est Ernő Rubik ?
Ernő Rubik est un professeur d’architecture et de design hongrois. Né en 1944 (en pleine Seconde Guerre Mondiale) d’un père ingénieur-mécanicien en aéronautique et d’une mère poète, il baigne durant sa jeunesse dans un environnement qui favorise sa fibre créatrice.
Ernő est passionné par le mélange d’art et de technique pure que lui infusent ses parents. Après avoir envisagé une carrière dans les Beaux-Arts, il se tourne naturellement vers l’architecture. Il obtient en 1967, à l’âge de 23 ans, un diplôme d’architecture à l’Université Polytechnique et économique de Budapest (voir photo ci-dessous). Il étudie ensuite à l’École supérieure hongroise des Arts Appliqués, confirmant cette polyvalence entre l’art et la technique. Il s’y plaît beaucoup, et obtient son diplôme en 1971.
Ernő travaille 4 ans en tant qu’architecte, avant de revenir dans cette même école pour y enseigner. En 1975, il est professeur de design, touche un revenu mensuel de 150€, et n’a jamais quitté sa Hongrie natale. Mais sa vie est sur le point de changer, grâce à une simple invention : un cube, composé de 27 pièces et de 6 couleurs.
2. Ernő Rubik invente le Magic Cube
Une première version rudimentaire voit le jour
En effet, lorsque Rubik devient professeur en 1975, il a déjà créé le casse-tête pour lequel il est aujourd’hui célèbre. En mai 1974, à l’âge de 29 ans, il invente un engin cubique, dont les faces peuvent chacune tourner indépendamment des autres. Après avoir imaginé en pensée un mécanisme 2x2x2, il opte pour un 3x3x3. Cette première version rudimentaire fonctionne grâce à des élastiques. Il nomme son invention «Magic Cube» (cube magique en français). Ce nom est d’ailleurs toujours utilisé en Chine, où la plupart des fabricants vendent leurs puzzles sous le nom de Magic Cube.
Le principe de son invention est simple : un cube composé de 26 pièces et un centre, 3 axes de rotation autour desquels peuvent tourner 6 faces. Le cube ne porte pas encore ses célèbres couleurs : Rubik n’ajoutera des autocollants que plus tard, sur conseil d’un ami.
Malgré les 43 trillions (43 milliards de milliards) de combinaisons possibles, l’architecte comprend intuitivement qu’il existe une méthode permettant de résoudre le cube sans faire appel à la chance.
Rubik face à sa création : comment résoudre le cube ?
Ernő cherche cette méthode de résolution, et se met alors au travail. Il passe plus d’un mois dans l’appartement de sa mère, à tenter de résoudre son étrange puzzle, tout en griffonnant des pistes sur un cahier.
Il parle avec passion de l’impact que son cube a eu sur lui à ce moment-là :
Lorsqu’il montre la solution à sa mère, celle-ci partage son enthousiasme tout en espérant qu’Ernő arrête enfin de s’enfermer des journées entières dans sa chambre pour triturer son cube :
Ernő décide de vendre son œuvre. Mais comment vendre un jouet que personne ne parvient à résoudre ?
Au départ, Rubik n’est pas conscient du potentiel de son invention, et ne la voit même pas comme un jouet. Il voit son cube comme une chose à mi-chemin entre une œuvre d’art et un défi intellectuel. Après quelques mois à concevoir des cubes pour ses amis, il comprend finalement l’intérêt commercial de sa création, et dépose en 1975 un brevet hongrois pour la protéger. Il est surpris de n’avoir jamais entendu parler d’un objet similaire, et est convaincu que quelqu’un, quelque part, l’a déjà inventé.
Il n’est pas très loin de la vérité : à ce moment, d’autres inventeurs dans le monde ont déjà imaginé des casse-têtes similaires. L’un d’entre eux est Uwe Meffert, un allemand qui avait créé en 1970 le Pyraminx, un Rubik’s cube en forme de pyramide. En voyant le succès de Rubik, Meffert créera sa propre marque de casse-tête, qui existe encore aujourd’hui. Elle porte le nom de «Meffert’s», probablement en référence à «Rubik’s».
En 1976, Rubik cherche à commercialiser son puzzle. Il fait le tour des foires du jouet, mais ne trouve au départ aucun fabricant intéressé par le cube. Aucun partenaire commercial ne souhaite s’associer à lui : le cube est trop étrange, il ne ressemble pas à un jouet, et est considéré comme beaucoup trop difficile. Les enfants veulent des jouets pour s’amuser, pas pour réfléchir !
Ernő n’abdique pas, et continue de faire la promotion de son jeux de réflexion. Il se met en scène, et réalise les premières démonstrations de cubing. Il déclarera que son record était alors d’environ une minute. Même si les records mondiaux actuels approchent des 3 secondes, sa performance est honorable : les cubes étaient beaucoup moins fluides, et sa méthode était loin d’être optimale. Du côté de sa vie privée, Rubik se marie en 1977 avec Àgnes Hégly, une architecte d’intérieur qui lui donnera quatre enfants : Àgnes, Szonja, Anna et Zoltán Ernő Jr.
Il réalise ses premières ventes la même année. Le succès n’est pas encore là, mais la folie du cube ne fait que commencer.
3. La vague du Rubik’s cube déferle sur le monde
L’invention d’Ernő connaît ses premiers succès, mais est encore loin d’être le mythe qu’on connaît aujourd’hui. C’est alors qu’un nouveau personnage entre en scène : Tom Kremer, homme d’affaires expert dans l’art de vendre des jouets, repère le cube hongrois.
Pour Rubik, les choses sérieuses commencent
Rompu aux affaires commerciales, Kremer discutera avec Rubik de la manière de présenter le cube pour attirer l’attention. Très tôt, Kremer est persuadé du génie de l’inventeur hongrois, et affirme qu’ils peuvent vendre plusieurs millions d’exemplaires de son cube.
Laczi, un des hommes qui négocia avec Rubik, nous donne son point de vue sur ce dernier. À ce moment, l’inventeur ne roule pas sur l’or :
Le Rubik’s cube devient le jouet le plus populaire du monde en quelques mois
Ideal Toys commence par changer le nom du puzzle. Le brevet hongrois déposé en 1975 pourrait ne pas suffire à protéger le jouet à l’international, il faut donc trouver un nom marquant pour s’imposer comme leader sur ce nouveau marché. «Magic Cube», le nom donné par Ernő, n’est pas assez impactant. L’entreprise utilise alors le nom de famille du créateur, et appelle ce jouet «cube de Rubik» : le Rubik’s cube (en anglais) est commercialisé à l’international. Au tout début des années 1980, c’est la folie : des campagnes publicitaires emblématiques font connaître ce nouveau jouet au public (voir vidéo ci-dessous), qui se rue dans les magasins. De 1980 à 1982, plus de 100 millions d’unités sont écoulées.
Le Rubik’s cube gagne la plupart des prix du jouet à l’Ouest (France, Angleterre, États-Unis…), et l’architecte hongrois passe pour la première fois le rideau de fer. Mais, même à l'ouest du rideau de fer, il reste discret et introverti. Laczi l’accompagne dans ses déplacements, et décrit un homme solitaire, qui n’aime pas l’alcool et les soirées mondaines :
Le designer magyar est épuisé par ces premières années de succès. Il voyage aux quatre coins du monde, sert des dizaines de milliers de mains, participe à des centaines de foires du jouet. Son naturel solitaire et introverti est mis à mal par cette soudaine notoriété, et il se voit signer des autographes par milliers.
Face à l’immense demande pour ses cubes, l’entreprise de production est contrainte d’emprunter de l’argent afin de suivre la cadence. Elle va même jusqu’à récupérer des stocks de contrefaçons asiatiques, les présentant aux acheteurs sous le sigle «fabriqué en Hongrie». Ces contrefaçons de piètre qualité déplaisent aux acheteurs, et salissent l’image de la marque.
Après 1982, la mode s’essouffle et la demande chute. L’entreprise de production se retrouve avec des prêts à rembourser et de gros stocks d’invendus. Elle est contrainte de faire faillite.
Loin des appareils photos, Ernő poursuit son travail et sa carrière
En 1983, Rubik fonde un studio de design. Il y crée des meubles et d’autres casse-têtes, sans parvenir à égaler le succès du Rubik’s cube.
Sans tomber dans l’anonymat, Rubik poursuit son travail, produisant régulièrement de nouveaux casse-têtes (comme le Rubik’s 360). En 1990, il devient président de l’Académie Hongroise ingénierie (dont il est toujours président d’honneur), et crée sa propre fondation visant à aider les jeunes designers industriels.
Il apparaît occasionnellement en public ou dans les médias, mais reste discret : Rubik est un grand introverti. Il ne ressent pas le besoin d’assister aux grandes compétitions de speedcubing, devient peu accessible et signe désormais peu d’autographes.
Anecdote amusante : en 2003, un astéroïde est nommé (133250) Rubik en son honneur. Il reçoit de nombreuses récompense, dont la Médaille du Travail et l’Ordre du Mérite de la République Hongroise en 1982. En 2007, il reçoit le Prix Kossuth, récompense hongroise célébrant l’excellence dans le domaine de la culture et des arts. Il avait entamé l’écriture d’une autobiographie, mais ce projet ne verra probablement jamais le jour.
4. Rubik’s cube : la recette du succès de Monsieur Rubik
Mais pourquoi diable le Rubik’s cube a-t-il connu un succès aussi large ? L’opération marketing de la Ideal Toys Company peut expliquer la mode des années 80, mais pas le succès intemporel de ce jouet. Rubik a sa petite idée :
Il semblerait qu’un jour de mai 1974, depuis la chambre de son appartement, sans le savoir, Ernő Rubik ait changé le monde. Ernő est un homme discret et mystérieux, qui cache des trésors d’inventivité derrière son regard bleu intense. Nous espérons que cette biographie d’Ernő Rubik vous a plu, et que vous avez appris de nombreuses anecdotes croustillantes.